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Syndicalistes Debout ! • N°5 • 28 juin 2021

Contribution Info’Com-CGT sur les maux du syndicalisme et son avenir

De la loi El Khomri aux Gilets Jaunes, des agressions policières au 1er mai parisien, de la précarité au chômage de masse en passant par la numérisation du travail, la réflexion sur le syndicalisme est urgente et doit être collective. Cette contribution porte sur ce qui affecte le syndicalisme et les pistes de travail.

La faiblesse du syndicalisme est devenue telle que les gouvernements l’ignorent, même lorsqu’il rassemble ses différentes obédiences. Il faut alors espérer que des instances administratives et judiciaires supérieures comme le Conseil d’État s’en emparent : c’est le cas de la prétendue réforme de l’assurance chômage – en réalité, un coup porté contre les bénéficiaires de l’allocation – dont le lancement était prévue 1er juillet 2021.

Pendant la pandémie, toujours en vigueur, le syndicalisme s’est immergé dans l’union nationale d’une gestion dont le mot d’ordre est « vivre avec le Covid », et non l’éradiquer. C’est ainsi le bal des labos qui a mené la vaccination vers un succès financier tant colossal qu’inégalitaire dans le monde. C’est ainsi que la priorité a été donnée, non à la Santé publique et à l’Hôpital, mais à la continuité de l’activité de marché.

La transformation du Travail

La pandémie comme centrifugeuse

La pandémie Covid 19 a accéléré et aggravé les dégâts à l’œuvre du fait du libéralisme. Misère et chômage subissent un mouvement ascensionnel, des secteurs entiers disparaissent par liquidation, la précarité handicape l’avenir des jeunes, les plus âgés sont exclus des entreprises.

Par-dessus un marché du travail qui demeure introuvable, le développement massif du télétravail obligatoire accélère la numérisation généralisée du travail. Le salariat est dilué sans transition dans le digital labour, et les travailleurs deviennent des prolétaires du clic, des esclaves de la souris. La tendance : réduire le travail humain à un esclavage de la machine, un service à peine rémunéré des maîtres-algorithmes dans le cadre d’une économie de plate-forme.

Est caduc cet échange, vieux de plusieurs décennies, entre l’acceptation de la subordination du salarié et l’extension de ses droits sociaux. C’était le big deal propre aux années de reconstruction, qui a survécu bien au-delà de la fin de l’expansion économique.

Le détricotage des services publics, la précarisation de la relation à l’emploi, l’intensification du travail flanqué d’un contrôle intrusif, tout cela s’est ajouté au maître choix du marché libéral, le choix du chômage. Il ne s’est jamais démenti, il n’a jamais été contrecarré depuis … 1978, année du premier million de chômeurs officiellement recensés.

Le pilotage par les algorithmes se greffe au lean management, une recherche de la productivité débarrassée de temps morts, sortie des chaînes de montage de Toyota, appliquée à toute entreprise, de façon dogmatique et brutale. La performance individuelle sans plafond ni reconnaissance est confrontée à l’algorithme. En résulte un sentiment de culpabilité, de dévalorisation de soi… Le procès de France Télécom l’avait illustré, ce climat mortifère et mortel, que les salariés ont fui dans un télétravail, se referme comme un piège.

L’écologie s’invite comme une urgence à la table sociale

À peine a-t-on eu conscience des réalités du réchauffement climatique et des dangers qui pèsent sur le vivant à l’échelle planétaire que le capitalisme vert développe ses illusoires solutions dans le vide sidéral de l’écologie sociale et solidaire. Les réponses syndicales en sont encore à des balbutiements qui peinent à convaincre. Les causes multiples de la pandémie concourent à désigner une longue histoire de destruction d’habitats naturels au profit d’une exploitation sans retenue de la nature et des hommes. La mondialisation des échanges toujours plus rapides assure la propagation et la mutation des virus.

Alors que s’éloigne, que naufrage la chimère d’une réforme du capitalisme, tandis que les mobilisation antiracistes (George Floyd), pour le droit des femmes et contre les dégâts environnementaux prennent un tour international, le syndicalisme se confine dans le cercle fermé de ses vieilles certitudes.

Le champ syndical s’étend pourtant à des couches entières victimes directes des dégâts climatiques, l’une des premières causes de l’immigration et de la confiscation des meilleures terres et emplacements. Le comportement des riches pollueurs illustre la prédation sans retenue sans égard de la population. Les alliances devraient ainsi être larges à l’opposé du repli sur des secteurs en voie de disparition.

L’incontournable exigence féministe

Depuis belle lurette, le syndicalisme est interpellé dans son fonctionnement et ses objectifs par la majorité sociale, les femmes. Il a réussi dans un premier temps à étouffer ou contourner cette exigence par des subterfuges divers, dont l’adoption dans ses rangs d’un féminisme de convenance.

Les différents mouvements tant internationaux que nationaux percutent le syndicalisme dans son fonctionnement miroir des institutions patriarcales et machistes. Un relookage de façade est exclu, pas seulement parce que les inégalités salariales et de statut social sont hélas intactes, mais aussi parce que la résolution des exigences féministes devient l’une des clés de la société à construire.

Le féminisme n’est pas soluble dans le libéralisme, et confirme son puissant potentiel émancipateur. Les féminicides quotidiens écartent à eux le discours marginal et condescendant sur un féminisme réduit à la parité. Les femmes sont battues et tuées parce qu’elles sont femmes, à l’heure de l’intelligence – vraiment – artificielle.

Stratégies épuisées

Échec partagé d’un syndicalisme loin du salariat réel

C’est du point de vue de l’intérêt des salariés que le regard syndicaliste sur les stratégies à l’œuvre doit être porté. De ce point de vue, celui de l’efficacité de la défense des intérêts collectifs et des gains pour toutes tous, les stratégies sont épuisées.

Les calendriers sans fin de manifestations convoquées par secteurs, la manière saute-mouton de mener des conflits qui montrent une certaine capacité d’entraînement mais jamais jusqu’au bout, les résultats revendicatifs plus que maigres pour des démarches peu claires, une syndicalisation en berne, voilà
qui caractérise l’un de ces courants syndicaux facile à reconnaître.

Pour celui qui se targue de modernité et de pragmatisme dans la proximité affichée avec le pouvoir, le résultat n’est pas meilleur, il ne convainc pas, ça ne marche pas. Une démarche inefficace, qui se satisfait d’avoir été vaguement entendue, sur des détails sans tenir des résultats concrets, la stagnation est patente.

Ce courant, majoritaire dans les urnes, est marginal au plan des résultats sociaux.

Un décalage abyssal se creuse entre ce qu’est devenu le salariat et ce syndicalisme divisé mais rassemblée dans l’échec.

Institutionnalisation ?

Les pouvoirs ont développé avec succès une offensive contre le Code du travail, attaqué par la loi El Khomri et les ordonnances Macron. Le syndicalisme a considérablement reculé du fait de la réduction par la loi de ses prérogatives à l’entreprise et dans la branche.

La faculté d’intervenir sur la sécurité et la santé, apanage des anciens CHSCT, a été amoindrie, voire éradiquée, au pire des moments, celui de la pandémie. Et les Comités d’entreprise possédaient des capacités légales d’obtenir des informations sur les décisions, de contester les licenciements et les restructurations, devenus désormais l’ordinaire d’un patronat hors contrôle et contre-pouvoir.

Le syndicalisme a connu un pareil repli dans son expulsion en cours d’achèvement de la gestion des organismes sociaux qu’il avait créés et gérés historiquement. Il en va de la Sécurité sociale, dont le budget est pris en main par le gouvernement, et intégré à une stratégie économique étrangère aux intérêts des assurés sociaux. Il en va de ses différentes caisses, objets d’attaques, à l’instar de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, dont le sort n’est pas scellé au moment où les besoins du quatrième âge requièrent une nouvelle caisse sociale.

Le scénario d’expulsion est à l’œuvre s’agissant de l’Unedic, dont la capacité de décision est obérée par la réforme ainsi nommée qui vise à détruire le caractère social de l’indemnisation.

Ces faits indiquent plutôt une désinstitutionnalisation. Alors ?

Alors, les structures syndicales passent un temps infini dans des organismes institutionnels dont la production est vaine. Il est bien clair et réaffirmé que le libéralisme et ses différents exécutifs se moquent éperdument du point de vue syndical, ne recherche nullement un dialogue social, et font à peine semblant.

Rien, dans le mode de décision, ne laisse plus aucune illusion possible dans la brutalité des objectifs et des manières de pratiquer. Au dialogue social, ou à son spectacle a succédé la stratégie du choc, ciblant l’ensemble des éléments des acquis sociaux.

Les lieux du syndicalisme

L’entreprise courant d’air… numérique

Le syndicalisme d’entreprise garde une pertinence dans nombre de cas, mais il est débordé par la numérisation qui dilue l’entreprise comme le salariat dans un virtuel vertigineux. Le syndicalisme d’entreprise représente les salariés aux statuts relevant du CDI, et rassemble peu ou pas les salariés hors de ces clous et ceux relevant des entreprises de sous-traitance, externalisées. Le patronat a obtenu une précarisation généralisée qui met hors de portée le syndicalisme classique.

L’entreprise, dans de nombreux cas, vend ses locaux, transfère leur charge sur les ménages, qui transforment leur lieu d’habitation en atelier, et se dotent à leurs frais des outils de travail pour exécuter les tâches dévolues naguère à la société employeuses.

Le phénomène est en cours, mais il prend une telle ampleur que la notion d’entreprise, son lieu matériel d’existence, est à ce point digitalisé que le salariat qui prétendrait y retourner ne la trouvera pas.

La branche, un lieu pertinent ?

Demeurent, dans les branches, des mécanismes légaux attachés aux conventions collectives et aux obligations y afférant. Nombre de prérogatives se sont déplacées à l’entreprise, c’était le but déclaré des lois et ordonnances depuis 2017. Pour autant, la branche ne correspond plus au découpage de l’économie réelle.

Le véritable lieu de production des normes en matière de conditions d’emploi est moins déterminé par l’appartenance à une branche que par la place occupée dans la chaîne de valeur, que constituent l’ensemble des rapports de sous-traitance, d’externalisation, aux trames plus ou moins serrées avec les entreprises et les branches.

La nature de la publicité a changé du fait de l’existence des Gafam, aux mécanismes reposant sur la captation des données individuelles gracieusement offertes aux algorithmes, qui les renvoient sous forme d’applications et d’offres à domicile.

L’information est compromise quand les Gafam organisent sa réduction sous formes de datas dont les flux représentent le moins de contrôle planétaire supérieur au pouvoir des états nationaux.

En somme, internet est le vecteur de la concurrence de toutes et tous contre toutes et tous, le débordement du cadre de la branche est patent, la chaîne numérique de valeurs emporte tout.

Représentativité ?

La publication par le ministère du Travail des résultats cumulés des élections sociales 2017-2020 montre l’état des forces syndicales.

Taux de participation = 38,25 %, en baisse de 4,5 points par rapport à la période 2013-2016.

La CFDT consolide sa première place, non parce qu’elle progresse – elle perd environ 39 000 suffrages – mais parce que la CGT en perd trois fois plus (environ 150 000).

FO et CFTC en perdent également (respectivement 53 000 et 21 000), Solidaires reste stable avec un gain de 3 000 voix.

Seules les confédérations les plus petites progressent, en particulier l’Unsa (+ 20 000 suffrages) et surtout la CFE-CGC (+ 39 000) : elle gagne des premières places dans de nombreuses entreprises industrielles (chez Renault, par exemple).

L’hégémonie de la CGT appartient au passé, aucune hégémonie alternative ne la remplace, c’est la fragmentation qui l’emporte.

Pistes de réflexion, un début…

Le lieu ? La maison du peuple

Reconstruire les communautés syndicales de solidarité et d’entraide, oui, mais où ? La maison commune, la bourse du travail, le local syndical ouvert à toutes et tous, telles sont les premières marches de la reconstruction.

Est-il nécessaire d’épiloguer ? La mise en commun de lieux de travail, de moyens, d’informations diverses, de soutien collectif passe par cette méthode de mise en commun des locaux disponibles.

Le but ? L’entraide immédiate

La pauvreté affecte celles et ceux qui travaillent pour un salaire dérisoire comme celles et ceux qui sont trappés dans le chômage et la précarité. Le syndicalisme d’entraide immédiate doit prendre sa place aux côtés du Secours populaire et d’autres organismes indépendants de ce type.

Il nous faut donc réduire l’écart entre un syndicalisme de salariés à statut et les associations d’entraide sociale.

L’objectif ? Les cahiers de doléance

Avant la Révolution française, pendant la Commune, peuple, ouvriers et volontaires militants ont rédigé ensemble ces cahiers où sont consignées les volontés collectives, les délibérations des clubs de Communards.

Il apparaît que, sur un thème particulier touchant à l’intérêt commun, beaucoup, bien au-delà des formes organises traditionnelles, sont prêts à agir au niveau requis, mais non à s’encarter durablement.

Donc, capter le thème commun le plus brûlant et participer à l’entraînement des forces nécessaires pour en faire un mouvement majoritaire, voilà l’agilité d’un syndicalisme d’action.

La méthode ? Places et ronds-points

Tous les mouvements qui ont émergé, entre le printemps arabe et les Gilets jaunes, ont investi places et ronds-points, une façon de contourner le quadrillage policier dissuasif, mais aussi de trouver une solution à la dilution de l’entreprise.

Ces formes d’action sont à mettre en fonction alternativement à des manières de manifester qui correspondent à une époque révolue.