Avant même la crise sanitaire de 2020, la concentration et la surproduction étaient deux phénomènes constants dans l’édition. Les grands groupes (Hachette, Editis, Madrigall, Média-Participations, Lefebvre Sarrut, Relx Group, Actes Sud, etc.) exercent leur monopole et leur influence sur tous les secteurs et dans toutes les instances du livre, notamment le Syndicat national de l’édition (SNE) ou encore le Centre national du livre. Parallèlement, des milliers de petites structures peinent à maintenir leur activité. Pour les salarié·e·s de l’édition, majoritairement des femmes (70 % selon le rapport social 2015 du SNE), cette situation se traduit par des salaires conventionnels ridiculement bas, par une forte pression sur des objectifs à tenir (de rentabilité ou de simple survie), par une dégradation des conditions de travail et par la précarisation : le recours massif au contrat à durée déterminée ou le développement imposé du statut d’autoentrepreneur. Cette précarisation limite fortement le droit à l’information financière des travailleurs, et réduit quasi à néant les moyens de représentation
et de défense de leurs intérêts.
La majeure partie des effectifs de l’édition en France travaille dans des sociétés de moins de 50 salarié·e·s (environ 30 000 entreprises au total), même si nombreuses sont celles qui dépendent en réalité d’actionnaires et de maisons mère ou holdings. Le seuil des 50 salarié·e·s, synonyme d’accès à l’analyse des comptes, est scrupuleusement surveillé et contourné par des systèmes d’optimisation sociale, faits de jeux de vases communicants entre structures toujours plus nombreuses. En l’absence de représentation des salarié·e·s qui pourraient mettre leur grain de sel dans la stratégie économique, les employeurs prennent leurs décisions de manière unilatérale et sans la moindre transparence.
La baisse de l’activité et la fermeture des librairies, en œuvre depuis de longues années, contribuent à accélérer et à amplifier ce phénomène. Pourtant, les grands groupes ne sont pas menacés de mort économique, loin de là. Mais comme, dans les autres secteurs de l’information et de la communication, ils voient dans la situation économique et dans les conséquences de la crise sanitaire du coronavirus, un effet d’aubaine pour réorganiser leur positionnement et augmenter de manière durable leur rentabilité en diminuant notamment la rémunération du travail.
Le recours au chantage à l’emploi via des accords de performance collective ou de ruptures conventionnelles collectives, la réduction du nombre de jours RTT (via notamment la généralisation du forfait-jours), le gel des augmentations générales et la mise en place de systèmes de rémunération à l’appréciation exclusive de l’employeur, tout cela sans condition de péril économique, sont en toute logique appelés à détériorer encore davantage la situation des créateurs, des autoentrepreneurs et autres précaires de l’édition.
Dans ce moment charnière que nous vivons, à l’intersection du pire et du meilleur, les associations et les organisations syndicales ont élaboré un plan de sortie qu’il nous appartient d’adapter à l’édition et à la chaîne du livre. C’est possible, pour peu que les salarié·e·s se prennent en main et pensent systématiquement collectif.
Les liens d’interdépendance qui nous unissent dans le travail sont multiples. Ceux qui nous unissent dans nos conditions de travail et de rémunération sont tout aussi nombreux, mais ils semblent beaucoup moins visibles en raison de leur individualisation toujours plus poussée. Toutes les décisions qui nous concernent sont évaluées, chiffrées et validées par l’employeur, en tenant compte des conséquences et des effets que chaque décision, que chaque stratégie auront les unes sur les autres. La difficulté pour les travailleuses et les travailleurs est que ces conséquences sont différées dans le temps et que les réactions manquent de coordination. La défense commune et collective reste, selon nous, le meilleur moyen de défendre l’ensemble du monde du travail, quel que soit le statut.
Tout au long de son histoire, le syndicalisme en tant que défense des intérêts des salarié·e·s a démontré son efficacité. Les droits aux congés payés et la baisse du temps de travail, pour ne citer que les plus connus, sont systématiquement issus de luttes sociales collectives. Toutefois, le syndicalisme est multiple. Celui que nous défendons s’appuie sur une analyse et sur un projet. La richesse produite n’est pas correctement répartie, les services publics sont peu à peu confiés à des intérêts privés et constituent des rentes commerciales. La pauvreté, y compris des personnes en activité, augmente.
Se syndiquer, c’est aujourd’hui pouvoir se former tout au long de sa vie et acquérir tous les outils nécessaires afin d’exercer son mandat d’élu·e avec les compétences requises pour être capable d’analyser la situation financière d’une entreprise, de connaître et savoir utiliser les différentes techniques de communication, notamment dans le cadre d’une négociation collective. Dans le domaine du droit social, forte de son histoire et de son attachement à l’éducation populaire, la CGT a développé un parcours de formation s’appuyant sur la pédagogie actionnelle, permettant à tout·e salarié·e motivé·e de devenir conseiller·ère du ou de la salarié·e, défenseur·seuse syndical·e ou même conseiller·ère prud’homal·e.
Les revendications portées dans les entreprises s’appuient sur les savoirs mutualisés et sur les analyses construites par les syndiqué·e·s et portées par le ou la délégué·e syndical·e.
Les employeurs veulent et peuvent, grâce aux récentes dispositions comme la loi travail (2016) ou les ordonnances Macron (2017), établir des accords moins favorables aux accords existants au niveau de la branche, faisant le pari de la méconnaissance ou du désintérêt pour la négociation collective dans l’entreprise.
Le manque de formation des mandaté·e·s, quand il y en a, et le chantage à l’emploi rendent difficiles le renversement de cette tendance au moins-disant social.
Certaines égalités pourraient attendre indéfiniment. Celle sur l’égalité homme-femme n’en finit plus d’être reportée. La revalorisation des salaires et des cotisations sociales n’est pas un frein,
y compris pour les petites structures, c’est la concurrence déloyale du marché qui crée leur vulnérabilité. L’action collective doit être efficace et peut se solder par la négociation et par la signature d’accords favorables à la hausse des salaires et à l’amélioration des conditions de travail. Ainsi, dans toutes les entreprises bénéficiant d’une représentativité syndicale, la négociation annuelle sur les salaires est obligatoire. C’est le moment de défendre votre niveau de vie. Nous pouvons vous aider !
Alors que les perspectives sociales et économiques sont très inquiétantes pour les mois et les années à venir, le droit à l’information réelle et à une analyse de la situation économique de l’entreprise ou de la filiale devrait être accessible à tout·e salarié·e, quelle que soit la taille de l’entreprise. La création artificielle de sociétés de moins de 50 salarié·e·s pour s’exonérer des obligations en matière d’informations stratégiques, financières et sociales empêche les représentant·e·s du personnel et les salarié·e·s d’analyser la situation réelle de l’entreprise, alors que celles-ci bénéficient d’aides publiques, alors que pèsent sur eux une pression considérable, et alors même que, selon la Constitution, « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » (alinéa 8 du préambule de 1946).
Les premiers résultats de l’enquête sur le télétravail menée par la CGT démontrent la nécessité de défendre un accord qui responsabilise et qui répartit les bénéfices du télétravail, notamment par la prise en charge, prévue par la loi, de ses coûts (moyens de production, réseaux, énergie, consommables, etc.).
Autoriser des licenciements ne doit pas être possible. Si les actionnaires ou employeurs ne peuvent plus être exonérés de leur responsabilité environnementale, ils ne peuvent pas davantage échapper à leur responsabilité sociale. Si les employeurs ne sont pas responsables de la crise sanitaire de 2020, le monde du travail non plus. C’est à ce titre que les sociétés les plus prospères et celles qui ont profité de la crise pour se réorganiser et faire des économiques sur le dos des salarié·e·s devraient avoir l’obligation d’abonder un fonds de soutien aux petites entreprises, victimes par ailleurs de la position dominante et de la concurrence déloyale des premières.