La Filpac CGT a tenu une assemblée générale des délégué-e-s de la presse le jeudi 24 avril 2014 à Montreuil, faisant suite à la mobilisation organisée le 6 mars devant le ministère de la Culture et de la Communication. Voici la résolution adoptée ce jour.
Ce n’est pas la même ministre de la Communication et de la Culture qui a répondu aux syndicats de la Filpac CGT le 8 avril. Ayant conservé son bureau de la rue de Valois, Mme Filippetti n’a plus la même fonction. Le numérique selon Valls a imbriqué trois ministères, celui de Montebourg, Économie – Redressement productif – Numérique, « dispose de la direction générale des médias et des industries culturelles », que dirige la ministre de la Communication ; laquelle partage avec le susnommé et le ministre de l’Éducation nationale Benoît Hamon « la mise en oeuvre de la politique du gouvernement en matière de technologies, de supports et de réseaux utilisés dans le domaine de la communication et de l’innovation numérique ». Une secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, grossit encore la troupe du tout… numérique, option qui imprime toute la réponse signée Filippetti.
Pour le gouvernement, tout est clair : les « innovations technologiques » constituent la cause qui bouleverse tout : « le rapport de nos citoyens à l’information », « les conditions de viabilité des imprimeries ou du système de diffusion », « la pérennité du pluralisme des idées et des opinions ». Le numérique devient réponse à toute chose, même aux salariés d’ArjoWiggins, victimes de l’entente gouvernement-banques (dont la BPI)-ArjoWiggins, à qui la secrétaire d’État, Axelle Lemaire, répond – devant la Représentation nationale – que la filière papetière doit être entièrement numérisée. Cette réponse devient la phrase unique, prononcée pour résoudre la crise – « on en sortira par le numérique » –, pour livrer bataille contre les salaires – « le numérique est l’outil par excellence de la compétitivité » –, pour les opérations dites du « choc de simplification » administrative, et pour les actes d’éducation des enfants scolarisés, flanqués d’un cartable et d’outils numériques, dressés à la programmation et à servir les réseaux.
La réponse de Mme Filippetti ne peut s’interpréter que comme un acte de foi de la religion gouvernementale vouée au numérique.
Conséquences ?
– Un décret dans la continuité du décret Sarkozy du 13 avril 2012 va paraître incessamment, qui redéfinit les aides à la presse. Rupture ou continuité avec les États généraux de la presse ? Peu de suspense, car la lettre évoque le soutien aux investissements « innovants » et limite ceux concernant l’imprimerie à « une étude d’ « impact » prélude aux « projets de structurer au mieux le secteur ».
– La diffusion de la presse imprimée est l’objet d’une « mission » tripartite : l’inspection générale des affaires culturelles, celle des finances et le conseil général de l’économie, de l’industrie… et des technologies.
– Une médiation concernant les photojournalistes et les porteurs de presse a été mise en place.
Et ?… C’est tout ? Non, Mme la Ministre a confié à la presse spécialisée qu’elle a convoqué le 22 avril une « conférence des éditeurs », prévue par l’article 7 du décret Sarkozy du 13 avril 2012, laquelle se tient sous le sceau du secret des affaires s’agissant du montant des aides publiques et de leurs bénéficiaires, et sous l’oeil avisé des experts.
Le monde du numérique se soigne à coups de décrets d’en haut, dont le moteur est, bien entendu, la « recherche du modèle économique de la presse en ligne ». Pour le reste, la ministre relaiera « enfin votre demande auprès de l’ensemble des organisations patronales du secteur » pour que « s’ouvrent… des discussions »…
Conclusion : que la ministre daigne nous tenir informés à l’égal de la Correspondance de la Presse, quel mépris. Pour autant, aucune trace de la moindre notion de négociation, ni même de représentation des salariés dans les processus en cours. Toutes les mesures se prennent du haut de l’État stratège. Quelle stratégie ? Le parachèvement de la révolution numérique appliquée à l’information, et à la presse en particulier.
Les états – majors des groupes de presse suivent un double mouvement suicidaire : celui imposé par la mise en place du numérique, la concurrence exacerbée et les investissements permanents qui s’ensuivent, et celui imposé par la chasse aux coûts de production.
Pour autant, la source de la viabilité des groupes repose en grande partie et toujours sur le papier imprimé. D’autre part, le fameux « modèle économique » existe bien s’agissant du numérique, sauf qu’il est de l’ordre de l’économie mondialisée : et ce sont les grandes soeurs, Google, Yahoo, Microsoft, Facebook, Apple, Amazon, Cisco… qui le déterminent et le dominent.
Les patrons de presse savent que, mis à part un ou deux groupes de taille mondiale, leur course au numérique est une course à l’abîme. L’État stratège leur distribue l’argent public par là. Adossés à des groupes industriels et financiers pour la plupart, ils développent une agressivité focalisée sur un seul objectif : éviter la moindre discussion stratégique avec la représentation salariale tout en ouvrant des entrevues locales avec elle, où il ne s’agit que de plans de départ réputés volontaires ou des licenciements sous différentes formes.
Les patrons de presse ont exclu depuis des années la moindre négociation. La conséquence pratique ? Les négociations forcément locales leur sont très faciles à contrôler, puisque en sont exclus tous les débats stratégiques impliquant leur responsabilité. Ils se contentent de présenter, par leur représentant local, l’addition en termes d’emplois et de restructurations permanentes, sur fond de campagne de démoralisation.
Par là, les conventions collectives de toutes les formes de presse et de sociétés d’information sont contournées, jamais discutées ou à la marge. Le droit social dans les sociétés d’information tend à n’être que la stricte application des reculs sociaux obtenus par le patronat au plan général depuis des années.
Conclusion : il n’est pas possible de continuer à se taire face à la stratégie destructrice des patrons de presse, Think Global – Act Local, sans essuyer des échecs à répétition. Les beaux jours sociaux ne reviendront pas tout seuls : à nous de recouvrer l’autorité de nos conventions collectives, alternativement à la cascade des ANI et des reculs sociaux qui sont au service exclusif des états – majors des groupes.
L’information et son personnel, voilà le sujet principal ! Une négociation nationale s’impose.
Les questions afférentes à l’information démocratique, indépendante et pluraliste n’ont pas reçu de réponses avec le Net, qui les a au contraire amplifiées et démultipliées. C’est pourquoi, quand nous revendiquons une négociation nationale, c’est que nous estimons que la cause de l’information n’est pas représentée, que sa place est réduite à un calcul de rentabilité qui affecte sa nature même.
Lorsque nous revendiquons un cadre légal, nous parlons tout autant d’une loi – cadre portant sur les garanties d’indépendance de l’information que de l’application des lois sociales aux personnels des sociétés d’information. Car, enfin : comment prétendre diriger des sociétés d’information tout en traitant le personnel par les licenciements, les sous-salaires, la précarité et la négation de tout avenir ?
Renforcer, améliorer, promouvoir l’application des conventions collectives, voilà l’un des sujets essentiels du cadre national que nous recherchons. Nous ne nous résignons pas à la dissolution des acquis sociaux et des positions sociales collectives dans le marasme de la collaboration avec le libéralisme au pouvoir.
• Le gel des licenciements sous quelque forme que ce soit doit être prononcé comme mesure de sauvegarde immédiate de la presse d’information.
• L’argent public doit aller à la création et l’innovation éditoriale, et non récompenser les meilleurs des managers libéraux ! La logique libérale du décret Sarkozy doit être inversée : conditionner les aides publiques au soutien au pluralisme de l’information et à la promotion de ses emplois.
• Les investissements, à l’opposé d’être captés par le tout-numérique, doivent obéir à un plan de filière. La promotion de la presse imprimée doit également être assurée, tant par les moyens éditoriaux pour garantir la qualité du traitement de l’information que par les moyens industriels (impression, distribution).
• Les syndicats de la Filpac CGT confirment leur revendication d’un réseau national d’impression au service de l’information, chargé de fabriquer toutes les publications bénéficiant des aides publiques.
• Les syndicats de la Filpac CGT revendiquent de manière indissociable un réseau universel de distribution avec délégation de service public, reprenant et développant le principe coopératif énoncé par la loi Bichet concernant la péréquation des coûts.
• Les syndicats de la Filpac CGT réaffirment leur revendication d’un cadre national de négociation sur tous les sujets de la presse et de l’information qui débouchent sur une loi fondamentale au service de la protection de l’information et ses salariés.