À l’approche de son congrès, Info’Com-CGT donne des pistes et des perspectives. Pourquoi Mai 68 en fait-il partie ? Une forte envie du nécessaire « tous ensemble » motive celles et ceux qui luttent. oui, nous préférons le printemps des luttes et des nuits debout à l’hiver libéral. et mai 68 appartient aux symboles de l’espérance. Quand la France se tord d’ennui sous le libéralisme triomphant, un printemps précoce surgira-t-il ? Info’Com-CGT le prépare. pour que la fête commence.
Il y a quelques années, notre camarade Charb avait immortalisé pour notre syndicat un militant, poing levé, qui s’écriait « Faut pas nous faire chier ! ». Cet émouvant dessin, plein d’autodérision, est devenu l’emblème d’Info’Com-CGT.
Alors que notre troisième congrès, prévu du 22 au 24 mars 2018, se tiendra sans la présence du regretté rédacteur en chef de Charlie Hebdo, nous pouvons l’écrire : ce petit bonhomme, c’est nous !
Faut pas travailler ensemble ? Faut pas rigoler ensemble ? Faut pas chanter ensemble ? Faut pas gueuler ensemble ? Chacun chez soi et Jupiter pour tous ? Non merci !
Il faut se taire ? ne l’ouvrir que tous les cinq ans devant un choix présidentiel avarié ? et, entre deux scrutins, laisser parler les experts en tout et sur tout, les porte-parole, les communicants, les délégués interministériels ? Encore non !
Tout un gouvernement, une légion de spécialistes, déciderait pour nous qui va travailler, combien de temps, à quel tarif, de quelle façon nous allons être licenciés, à quelle fréquence il faudra se former, être mobile ou chômer ? Toujours non !
A l’heure du tas d’or des Google, Apple, Facebook, Amazon, à l’heure du travail uberisé, de l’autoentrepreneuriat, de l’institutionnalisation syndicale à tout crin, montrons, à l’occasion de ce congrès, que le syndicalisme est là, que nous sommes là.
Comme les grévistes de mai 1968, nous pensons que c’est de la solidarité que viendra la transformation sociale. Nous pensons que le salariat vaut mieux que la fausse liberté des « indépendants ». Nous pensons que les travailleurs sont les mieux placés pour prendre leur destin en main.
Pour faire valoir nos droits, nous nous appuyons sur nos réalités concrètes, mais aussi sur les leçons de l’Histoire et sur les exemples passés de luttes réussies pour améliorer la situation des travailleurs. Faut pas nous faire chier ! Mais le dire n’est pas suffisant. Aujourd’hui, il faut faire.
L’ordre règne. Le marché marche. Le profit rapporte. Le financier s’engraisse. Le rentier se les roule.
À la marge, des chaos invisibles empilent les « perdants », chômeurs, pauvres, habitants des « quartiers » ( !), migrants évacués.
Au centre triomphe le libéralisme, érigé en religion définitive et en science absolue, en fin de l’histoire et en avenir qui ne daigne même pas se présenter comme radieux parce qu’il est, tout bonnement.
Pour quelques-uns ? Et alors, l’inégalité n’est que l’ordre réel des choses non rêvées, inéluctables, non ? Assurons-nous seulement que nos rues soient assez larges et sécurisées pour la circulation de nos Porsche Cayenne. Que le gouvernement fasse son office et gardienne cet ordre.
On pourrait en rajouter, genre les exactions à Macron, que ça ne nous empêcherait pas de voir la réalité. Parce que nous avons appris de l’expérience cette vérité : ce sont les situations les plus verrouillées, les sociétés les plus cadenassées, les gouvernements les plus policiers et les mieux armés qui provoquent les explosions les plus imprévisibles.
Elles ne sont pas inéluctables, juste non pronostiquées, comme celles de Mai 68 ou de décembre janvier 2018, en Iran. Voilà à quoi s’attendre, et voilà quoi préparer, à savoir les conditions de cette explosion fortuite que ne manquera pas de nous surprendre bien que nous l’ayons espérée.
Un printemps magnifique, comme en Mai 68, pour sortir du tunnel, pas mal, non ?
L’espace syndical libre est par nature irréductible au jeu institutionnel. Nous pouvons y accomplir des tâches collectives, pratiquer des échanges d’expériences et de savoir-faire, accueillir celles et ceux qui ont besoin d’aide et de solidarité. Telle est l’antidote à l’individualisme compétitif et… à la mélancolie.
Nous devons être des gardiens jaloux de cet espace. Nous ne sommes pas comptables des tiroirs caisses obscurs des échanges de sommet. Là où, pour un strapontin occupé sagement au nom du « syndicalisme », le pouvoir rémunère par des jetons de présence la soumission et le consentement à la marginalisation de la question sociale, de toute question sociale.
Qu’elle est triste, la figure du syndicalisme institutionnel. Look at Laurent Berger ! Que de pâles conciliabules a-t-il co-organisés pour échanger le CDI et le SMIC contre des poufs à son image dans les conseils d’administration d’entreprises qui n’en ont cure ! Un conseil d’entreprise orange libéral, tel est le cercle vicieux du syndicalisme intégré. Non merci.
Nous savons de Mai 68 et de mille expériences collectives que seul l’organisme vivant, vérifiant chaque jour sa vigueur et sa prise sur le réel, peut percevoir le mouvement souterrain qui soudain survient. Rester vivant, résister à la normalisation, le prix est élevé, mais l’investissement est indispensable.
Le mouvement de normalisation du syndicalisme a cette fonction d’extirper de la tête des syndicalistes qu’un autre avenir peut être collectivement fabriqué. « There is no alternative – TINA », le slogan de Thatcher, converti en France par Mitterrand, se traduit aujourd’hui par : il n’y a pas d’avenir au syndicalisme indépendant.
Nous devrions nous rallier à l’Europe de la Confédération européenne des syndicats (CES), genre CFDT, parce que, sinon, c’est le fascisme comme en Autriche, Hongrie, Pologne, république Tchèque, sans compter ce nazisme renaissant jusque dans les travées du Bundestag berlinois.
La pression normalisatrice en France est énorme. Du centre vient l’injonction de remplacer « confédéralisation » par « centralisation », « fédéralisme » par « caporalisme ». Le syndicalisme se réduirait aux faux semblants : siéger à des séances qu’on nomme à tort « négociations », émettre des avis de syndicalistes qu’on n’écoute pas, être spectateurs de sa propre déchéance.
Le prix ? Il faut par nous-mêmes aller chercher la réalité des luttes, de la combativité. Il faut par nous-mêmes, en pénurie perpétuelle d’informations confédérées, décrypter les dossiers sociaux, même et surtout les plus importants, les présenter aux salariés, à une échelle qui dépasse forcément notre terrain de jeu attribué.
Présenter la réalité sociale vivante par un syndicalisme réellement existant est un effort quotidien qui constitue l’acte de résistance fondamental. Lui seul, comme exercice de survie, nous permet de capter l’évolution des consciences et des mentalités, de détecter l’ouverture du champ des possibles.
L’inventaire de notre héritage est une bouée de sauvetage. Ce que nous fabriquons le fait fructifier. C’est maintenant que notre contribution à l’avenir commence.
Nous vivons comme des relégués dans nos propres entreprises. Tel est du moins le but recherché par les employeurs, bénéficiaires exclusifs des ordonnances contre le Travail. C’est l’enfer, la représentation du personnel est réduite et dénaturée, les délégations DP, CE et CHSCT dispersées… Les moyens patronaux au service de la DRH sont, eux, décuplés.
Voilà leur stratégie du choc. Pour autant, les besoins sociaux insatisfaits hurlent !
• le management exige un investissement personnel total et une compétition permanente avec les collègues, alors que la rémunération du travail stagne ou régresse, et que les cadences s’intensifient.
• la précarité entretenue et la réorganisation perpétuelle de l’entreprise génèrent une angoisse du lendemain, à tout le moins une incertitude telle que la santé est compromise, au moment où le CHSCT est supprimé.
• l’entreprise se présente comme un lieu qui perd tout sens : celles et ceux qui y travaillent la font fructifier, mais c’est une dictature de la rentabilité immédiate qui la compromet et ce sont les actionnaires qui en tirent les fruits.
• le marché de dupes est flagrant : la redevance de l’entreprise va au groupe de façon prioritaire et croissante, alors que le groupe considère l’entreprise comme une unité isolée, seule devant ses propres comptes et sans lien avec le groupe.
• l’employeur et les propriétaires ont un droit de tirage sur le compte de notre Travail, et nous n’en aurions aucun, alors que la valeur créée par l’entreprise est de notre fait exclusif ?
La question du pouvoir à l’entreprise est posée, avec d’autant plus de force que son existence est précarisée par la logique financière !
Oui, la représentation des salariés est mutilée, mais la matière de l’action collective est explosive, plus que jamais. Tel est le sens de la resyndicalisation de notre action de résistance et de contre-offensive.
Pourquoi regarder 50 ans en arrière, vers la plus grande grève générale de l’histoire du pays, et pas attendre que « ça » reparte ?
Parce que le dispositif des lois anti-Travail a détruit un vieil équilibre, fragile, entre employeur et employé. Le droit social, Code du travail en tête, était né d’un très long processus de luttes – un siècle entier – mêlant revendications sociales et exigence de la démocratie. C’est la convergence entre croissance du prolétariat industriel et revendications ouvrières que sont nés le syndicalisme actuel et le droit social.
Le syndicalisme indépendant vient d’être mutilé et la classe ouvrière d’industrie est très réduite, tandis que se sont développées des couches sociales moins bien rémunérées que le prolétariat industriel mais qui ne se vivent pas comme appartenant à une classe exploitée. Le syndicalisme ne les organise pas, et les formes d’exploitation du travail ne favorisent pas comme l’usine et l’atelier la conscience de classe.
La reconstitution d’un droit social, la reconstruction d’outils de luttes des exploités ne s’opèreront pas à froid. L’expérience même des grèves générales, celle de 1936, celle du mouvement organisé des maquis à la Libération et la grève générale de Mai 68 montre qu’elles ont permis de franchir des obstacles qui apparaissaient hier comme infranchissables.
Bien sûr, la tactique actuelle n’en est pas une, elle n’est qu’un échec, fondé sur le jugement a priori que le rapport n’y est pas, sans jamais indiquer comment le reconstruire ! Il va de soi que le courant combatif penche naturellement vers la convergence des luttes, telles qu’elles existent et telles qu’elles ont dispersées.
La mise en commun des énergies et des revendications a un intérêt évident sauf pour qui tourne le dos au syndicalisme de mobilisation. Un autre enjeu s’y mêle, la construction d’une nouvelle conscience des exploités, d’un sentiment renaissant d’appartenance à une classe entièrement dominée.
Imaginez : un mouvement estimé à 6 ou 9 millions de grévistes, qui installe les occupations des lieux de travail sur trois semaines en moyenne ! Un mouvement que personne n’avait prévu, mais qui murissait par mille canaux derrière la sieste apparente d’une société tournée vers la consommation, à peine débarrassée de la guerre d’Algérie, que le pouvoir refusait de reconnaître comme telle.
Tu rêves… Oui, un rêve éveillé. Mais le propre du syndicaliste debout, c’est le rêve partagé, seule antidote à la résignation, à la dépression, à la mélancolie. Oui, je rêve, et tu verras, tu verras, quand on se réveillera au milieu de millions de grévistes, comment tout va paraître facile, à portée de main, de nos mains à tous.